Débat public - En mer, en Normandie : de nouvelles éoliennes ?
Débat public sur les futurs appels d'offres d'éoliennes en mer au large de la Normandie
Q4 • Quelle est la cohérence entre actions et discours?
Réponse publiée
Le Président de la République déclare à juste titre que la priorité des priorités est à donner aux actions permettant de maîtriser le dérèglement climatique. La logique la plus élémentaire devrait donc conduire à faire porter l'effort sur la réduction des consommations de combustibles fossiles, notamment le fuel et le gaz, la consommation de charbon étant modeste en France.
Depuis quelques années, le développement des EnR électriques intermittentes ont bénéficié d'un soutien public qu'on peut estimer à environ 200 milliards d'euros, sans commune mesure avec le résultat obtenu tant en matière de production électrique qu'en termes de réduction des GES ! Cette orientation voulue par certains militants pseudo-écologistes ayant accès aux portes du pouvoir fait peser une charge énorme et injustifiée sur les français.
La simple logique oblige à condamner sans réserve le projet d'extension des capacités éoliennes en Manche, sauf à présenter une démonstration rationnelle de leur capacité à répondre à l'objectif fixé au plus haut niveau de l'Etat : la maîtrise des émissions de CO2 .
Je pose donc la question : Quelle est cette justification rationnelle?
Je reste attentif à tout élément qui permettrait de comprendre l'intérêt - si modeste soit-il - du projet objet de ce débat public.
Réponse officielle :
Bonjour,
1. Une politique nationale de transition énergétique
La lutte contre le changement climatique constitue une priorité pour les pouvoirs publics. Le groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) a publié le 8 octobre 2018 son rapport spécial sur « les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C » (voir en ligne). Ce rapport trace différentes pistes d’actions pour parvenir à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle, et parvenir à atteindre la neutralité[1] carbone aux alentours de 2050. Pour atteindre ces objectifs, les transitions nécessaires que le rapport du GIEC présente concernent en premier lieu le secteur énergétique. Toutes les trajectoires de transition énergétique présentées insistent sur la nécessité de réduire la consommation globale d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel). Elles visent en outre à accroître largement la part des énergies renouvelables dans la consommation mondiale d’énergie primaire, comprise entre 49% et 67% en 2050, contre seulement 14% en 2016[2]. Ces trajectoires nécessitent d’être soutenues par les États via des politiques publiques et des actions concrètes.
La France s’est donc résolument engagée dans une transition énergétique d’envergure depuis 2015, avec la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV), suivi de la loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures de 2017, puis de la loi relative à l’énergie et au climat adoptée à l’automne 2019. Ces différentes lois ont fixé pour notre pays des objectifs à la hauteur des enjeux, notamment la fermeture des quatre dernières centrales à charbon d’ici 2022 ou encore la réduction de la consommation énergétique primaire d’énergies fossiles de 40% en 2030 par rapport à 2012.
Ces mesures sont accompagnées de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français dans les années à venir : la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 fixe l’objectif de 33% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2030, contre 16% en 2016. Pour la seule production d’électricité, cette part est fixée à 40% en 2030.
Aussi, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) planifie les projets français de développement des énergies renouvelables et de réduction des énergies fossiles et nucléaire.
2. L’éolien en mer, une énergie décarbonée qui participe à la diversification du mix énergétique français
Le projet de PPE prévoit notamment l'attribution d’un parc d’1 Gigawatt (GW) au large de la Normandie en 2020, et d’autres d’ici 2023. Le tableau ci-dessous, extrait du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie pour la période 2019-2028, présente les objectifs de lancement de procédure de mise en concurrence pour des projets éoliens en mer dans les années à venir.
Le développement de l’éolien en mer, filière la plus mature des énergies marines renouvelables, participe à un double objectif :
● le développement d’énergies décarbonées ;
● la diversification du mix énergétique français en permettant le déclassement de moyens de production conventionnels.
En effet, si l’énergie nucléaire constitue d’un point de vue des émissions de gaz à effet de serre un atout, sa forte proportion dans le mix énergétique français est également susceptible de dégrader la robustesse du système électrique. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a ainsi rappelé à plusieurs reprises qu’une des vocations de la diversification du mix électrique était aussi de renforcer la sécurité d'approvisionnement en électricité. Il est en effet important de disposer de marges suffisantes dans le système électrique pour faire face à l’éventualité de suspendre simultanément le fonctionnement de plusieurs réacteurs qui présenteraient un défaut générique grave. Un exemple de tel défaut générique est l’anomalie de concentration en carbone de l’acier qui a affecté les générateurs de vapeur de douze réacteurs à l'hiver 2016 qui furent donc dans l’incapacité de produire de l’électricité au cours de l’hiver.
En diversifiant le mix électrique, le développement des énergies renouvelables contribue ainsi au renforcement des marges d'approvisionnement susceptibles de pouvoir palier à de tels événements.
Concernant les émissions de GES, le facteur d’émission[3] d’une centrale nucléaire française est estimé entre 6 et 12 g eq CO2/kWh, alors que le facteur d’émission de l’éolien en mer est de l’ordre de 14 à 18 g eq CO2/kWh produit. Au bout de quelques années de fonctionnement, tout parc éolien atteint son temps de retour, c’est-à-dire qu’il a compensé les émissions de GES dont il a été ou sera à l’origine. Pour les parcs éoliens en mer français, ce temps de retour est estimé entre 4,5 et 6 ans par rapport au mix électrique moyen. En effet, lorsqu’elles produisent de l’électricité, les éoliennes françaises se substituent à des installations de production utilisant des combustibles fossiles (centrales à gaz et à charbon) en France ou en Europe dont la part demeure importante (46% de la puissance installée européenne en 2015[4], le mix électrique européen émettant de l’ordre de 500g eq CO2/kWh). Cela s’explique par le fait que l’électricité produite par les éoliennes dispose d’un coût de production marginal nul et est donc plus compétitive que l’électricité issue des centrales de production utilisant des combustibles d’origine fossile[5].
Le développement des énergies renouvelables, et donc de l’éolien en mer, participe donc à la nécessaire réduction de la consommation de combustibles fossiles et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre en France et en Europe. Il permet également de garantir le maintien à long terme d’un système électrique français faiblement émetteur en gaz à effet de serre compte tenu du déclassement à venir de réacteurs nucléaires.
Enfin, les analyses réalisées par le gestionnaire de réseau public de transport d’électricité (RTE) en 2019 attestent de la faculté du système électrique à accueillir l’ensemble des nouveaux usages prévus par la feuille de route énergétique de la France, et mettent en évidence des bénéfices significatifs en matière d’émissions de CO2. Le bilan prévisionnel de 2019 de Rte rappelle que “la croissance de la production renouvelable en France aura pour effet de se substituer à des productions au gaz et au charbon hors de France, et concourront donc à la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle européenne”. Ainsi, l’installation d’éoliennes en mer ne nécessitera pas de construction de nouvelles centrales thermiques.
3. Le soutien public nécessaire au développement de l’éolien en mer
En France, l’État a décidé d’accorder un soutien public au développement d’énergies renouvelables afin d’accroître son effort dans la lutte contre le changement climatique. D’après le rapport du comité annuel de gestion des charges de service public de 2019, ce soutien public s’élève à environ 5 milliards d’euros pour l’année 2019.
Le graphique ci-dessous, élaboré par la Commission de Régulation de l’Énergie (autorité administrative indépendante) indique les montants de soutien public aux énergies renouvelables par année en métropole :
Enfin, un rapport de la Cour des Comptes de 2018 sur le soutien aux énergies renouvelables estime que les engagements pris jusqu’à fin 2017 représenteront environs 121 milliards d’euros entre 2018 et l’échéance des contrats (au plus tard en 2046).
Jusqu’à fin 2015, le soutien aux énergies renouvelables électriques était financé au travers des charges de service public de l’électricité, répercutées sur le consommateur d’électricité via une taxe appelée contribution au service public de l’électricité (CSPE). En 2016, une réforme de la CSPE s’est traduite par sa budgétisation et la création du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » (CAS TE) afin de servir de support budgétaire au financement des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables en électricité ou en gaz. Depuis 2017, le CAS TE est alimenté uniquement par une partie des recettes des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – qui s’applique notamment aux carburants fossiles essence et diésel, et de la taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC) qui s’applique sur les houilles, lignites et cokes. Le soutien aux énergies renouvelables est ainsi financé par des taxes sur des produits énergétiques fortement émetteurs de CO2, et n’a donc plus d’impact aujourd’hui sur la facture d’électricité des consommateurs.
Pour les installations de forte puissance comme les parcs éoliens en mer, cette subvention est versée sous la forme d’un complément de rémunération, contractualisé entre le porteur de projet et EDF Obligation d’Achat (EDF OA). Ce mécanisme est identique à celui mis en œuvre pour les autres projets d’énergie renouvelables.
Cependant, grâce notamment au développement récent de la filière, le coût de soutien public par parc éolien en mer décroît fortement. Ainsi, pour le projet au large de Dunkerque, dernier projet ayant fait l’objet d’une procédure de mise en concurrence en France et attribué en juin 2019 à un consortium mené par EDF Renouvelables, le prix de référence fixé par le lauréat est de 44€/MWh, soit aux alentours du prix de marché actuel. Lorsque le prix de marché de l’électricité sera supérieur au prix de référence, la différence sera reversée au budget de l’État. La Commission de Régulation de l’Energie estime donc que le coût de soutien public pour le projet au large de Dunkerque se situera entre -266 M€ (c’est-à-dire que jusqu’à 266 M€ pourraient être reversés par le lauréat à l’État) et 540 M€.
À terme, il peut également être envisagé des parcs sans subventions publiques (hors raccordement) même si l’incertitude relative aux prix de marché à long terme de l’électricité pourrait freiner leur développement.
Conclusion : Le développement des énergies renouvelables, notamment de l’éolien en mer, répond à la fois à une politique nationale de réduction des émissions de CO2 afin de faire face au dérèglement climatique, ainsi qu’à une politique de diversification du mix énergétique visant à renforcer la sécurité d’approvisionnement française. Les énergies renouvelables se substituent notamment à la consommation de combustibles fossiles en France et Europe et garantissent que le mix électrique français restera faiblement émetteur de gaz à effet de serre à long terme. Le soutien financier au développement des énergies renouvelables est aujourd’hui issu des taxes sur les combustibles fossiles, dans une logique de pollueur-payeur. Pour la filière éolien en mer, les subventions de l’Etat sont de plus en plus faibles du fait de la structuration de la filière éolien en mer et de la baisse importante des prix.
Pour plus d’informations, vous pouvez vous référer à :
● la synthèse du dossier du maître d’ouvrage page 8,9,18, et 19
● la fiche #2 “Pourquoi développer l’éolien en mer en France ?”
Le maître d’ouvrage.
[1] Emissions nettes = 0
[2] Agence Internationale de l’Energie (AIE)
[3] Le facteur d’émission indique la quantité de CO2 émise par un kWh d’électricité produite par l’installation de production d’électricité (en gramme d’équivalent CO2 par kWh produit).
[4] European Transmission Network System Operators for Electricity (Entsoe), “L’électricité en Europe 2015. Synthèse de la consommation, de la production et des échanges d’électricité au sein de l’ENTSO-E”, Juin 2016 (voir en ligne)
Signaler un problème
Ce contenu est-il inapproprié ?
Partager: