Débat public - En mer, en Normandie : de nouvelles éoliennes ?
Débat public sur les futurs appels d'offres d'éoliennes en mer au large de la Normandie
Q32 • Place des scientifiques dans le projet ?
Réponse publiée
Question posée via le questionnaire d'après-rencontre par une habitante de Port-en-Bessin :
Dans le DMO vous faites référence à des études scientifiques des pays du Nord, qui ont du recul sur leurs parcs.
Les scientifiques français (style Ifremer) sont ils en communication active avec ceux des pays du Nord ? Lors de la construction du cahier des charges aurez-vous un conseil scientifique et quelle place donnerez-vous à leurs recommandations (en particulier sur la biodiversité) ?
Réponse officielle :
Réponse de la Direction générale de l'énergie et du Climat (DGEC, Maitre d'ouvrage).
De nombreuses études ont été menées dans les parcs européens déjà construits pour évaluer l’impact environnemental de l’éolien en mer, en particulier sur la biodiversité. Ces documents sont recensés dans la bibliographie du maître d’ouvrage sur le site du débat public. De plus, plusieurs de ces retours d’expériences sont présentés dans le dossier du maître d’ouvrage, notamment dans la fiche #7.1.1 qui porte sur l’environnement. Les scientifiques français sont en effet en communication régulière avec les scientifiques étrangers afin que la France bénéficie des retours d’expériences étrangers et notamment ceux des pays du Nord qui ont des parcs éoliens depuis de nombreuses années. Les scientifiques Français travaillant sur les sujets de la mer et des océans et notamment l’Ifremer font partie de réseaux scientifiques européens et internationaux et participent régulièrement à des conférences et colloques internationaux. De plus, des réseaux scientifiques ont été créés en lien avec le développement des énergies renouvelables, qui ont pour objectif d’échanger sur les enjeux des différents acteurs du secteur et les résultats des derniers travaux de R&D.
Parmi les réseaux existants auxquels participent les scientifiques français, on peut citer l’EMSO (European Multidisciplinary Seafloor and Water Column Observatory) qui est une infrastructure de recherche européenne (IR) dont l’objectif est d’étudier sur le long terme et en temps réel les processus environnementaux liés aux interactions entre la géosphère, la biosphère et l’hydrosphère, notamment les risques naturels. Il est composé de différents observatoires fixes, situés en eaux profondes ou dans la colonne d’eau, déployés dans les mers tout autour de l’Europe, de l’Arctique à l’Atlantique, de la Méditerranée à la mer Noire.
En France, des études scientifiques sont menées par divers organismes, dont les universités et leurs laboratoires attenants. Sur le sujet des énergies renouvelables, l’institut France Energie Marine (FEM) assure le montage, la coordination, le pilotage scientifique et la réalisation de travaux recherche et d'ingénierie dans le cadre de projets de R&D collaboratifs. A titre d’exemple, une étude récente, intitulée TROPHIK, vient d’être publiée par FEM, dont l’objectif est de modéliser le rôle des éoliennes en mer dans la modification du fonctionnement des réseaux trophiques côtiers et dans le cumul d’impacts. Cette étude pilotée par l’université de Caen a réuni un réseau d’acteurs scientifiques large: France énergies Marines / UMR BOREA, Université de Caen Normandie / Université du Littoral Côte d’Opale / UMR M2C, Université de Caen Normandie / Centre Ifremer Bretagne / Muséum National d'Histoire Naturelle / Université de Bretagne Occidentale / EDF Renouvelables.
La conduite d’un projet en mer comme celui d’implanter des éoliennes nécessite différentes phases. La première phase consiste de vérifier la capacité d'accueil du projet par le milieu marin. Pour cela l’Etat a analysé globalement la zone maritime au titre de l'environnement puisqu’une directive européenne oblige chaque pays européen à mesurer les pressions exercées en mer par l’Homme dans le but de les réduire et d’atteindre un bon niveau de qualité des eaux marines. Ces travaux sont réunis au sein de la planification des espaces maritimes, le document stratégique de façade (DSF) ; sa partie environnementale regroupe les connaissances scientifiques par compartiment environnemental maritime.
La deuxième phase est actuellement en cours, il s’agit du débat public qui a nécessité la production d’informations pour que le public puisse appréhender le mieux possible le projet. Pour cela l'Etat s’est appuyé sur des centres d’études tels que l’IFREMER, le SHOM, Météo France, le Muséum d’histoire naturelle, les universités et leurs laboratoires...En plus de la bibliographie scientifique produite par l'État, des éléments ont été apportés par les contributions du public mais également par la commission du débat public (CPDP). De plus, la CPDP a fait le choix de faire intervenir lors de réunions publiques des scientifiques sur les sujets qui demandaient une information particulière. Par exemple, à Fécamp est intervenu M. Jean Claude Dauvin (Ecosystèmes Littoraux et Côtiers), au Tréport M. Laurent Chauveau (écobiologie benthique), l’IFREMER à Port en Bessin...
La phase des demandes d’autorisation nécessaires pour construire le futur parc éolien, imposera à l’industriel en charge du développement du projet de mettre en place des études sur la zone d’implantation du parc éolien ; ces études seront validées par les scientifiques experts des compartiments environnementaux observés. Enfin, un conseil scientifique sera nommé et sera chargé de conseiller le comité de suivi du projet. Ce processus permettra de bénéficier de recommandations de spécialistes concernant notamment les mesures de suivis environnementaux qui permettront de limiter l’impact du parc sur son environnement.
Des éléments ci-dessus, on constate que la sphère scientifique est certes nécessaire mais surtout obligatoire tout au long des étapes du projet.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples de retours d’expériences étrangers dont nous avons connaissance et qui vont nous guider dans la conduite du projet objet du débat public en cours.
- Impact sur les mammifères marins
Durant la phase de construction du parc éolien en mer, les mammifères marins sont impactés par les bruits impulsifs ou continus générés par l’installation des fondations des éoliennes et du poste en mer, par les opérations d’ensouillage ou de protection des câbles, et par les navires. Une étude publiée en 2013 par l’Agence de l’Energie du Danemark a analysé l’impact du bruit sous-marin généré par la construction des fondations d’un parc éolien en mer sur les marsouins communs. Cette étude indique notamment qu’il est possible de minimiser cet impact négatif, grâce à des mesures d’atténuation de l’impact par effarouchement : les observations de marsouins communs sont réduites de 99% en présence de ce dispositif (31 observations/4h quand le dispositif n’est pas actif contre 0,3/4h quand le dispositif fonctionne). Les mesures d’effarouchement permettent ainsi d’éloigner les individus présents dans la zone de construction, par exemple par l’augmentation progressive du niveau d’émission. Ensuite, les retours d’expériences indiquent que la mise en place de rideaux de bulles autour des zones en travaux permet de réduire l’impact négatif sur les individus restant.
En France, des campagnes nationales ont été menées pour recenser les mammifères en Manche-Est. Les résultats de ces campagnes seront pris en compte dans le choix de la localisation de la zone de projet, pour éviter autant que possible les zones les plus fréquentées par les mammifères. Une fois la zone de projet connue, des études permettant de connaître plus finement la fréquentation des espèces en présence permettront de déterminer les périodes de moindre présence des individus. Ces périodes seront privilégiées pour réaliser les travaux. Enfin, une minimisation de la durée des travaux sera systématiquement recherchée par le porteur de projet.
2. Effet récif et effet réserve
Les fondations des infrastructures introduites dans le milieu marin constituent des récifs artificiels. Les organismes benthiques et épibenthiques vont coloniser les fondations, cela s’appelle effet récif. Cette colonisation est susceptible de modifier la chaîne trophique (c’est-à-dire les relations qui s’établissent entre des organismes en fonction de la façon dont ceux-ci se nourrissent) dans la zone d’implantation du parc. Certains poissons et mammifères marins pourraient en effet être attirés par ce nouveau récif artificiel : cela s’appelle l’effet réserve.
Certains retours d’expérience de parcs exploités à l’étranger témoignent de l’observation d’un effet réserve pour les poissons avec une diversité accrue de poissons au sein de la zone du parc.
Cet effet a notamment été observé dans le parc Horns Rev 1 qui a été mis en service en 2002 à 15 km des côtes ouest du Danemark, où de nouvelles espèces de poissons ont été enregistrées dans le récif artificiel ainsi créé. Les chercheurs n’ont en revanche pas observé de disparitions de certaines populations de poissons. La diversité des espèces de poissons a donc augmenté avec l’implantation du parc. D’autres études menées en Belgique et aux Pays-Bas prouvent également l’existence d’un effet réserve.
Cependant, d’autres retours d’expériences sont plus mitigés quant à l’effet réserve permis par le parc éolien en mer. Un programme de contrôle et d’évaluation des impacts sur l’environnement (dont les communautés halieutiques) de la construction de la 1ère ferme éolienne néerlandaise, construite entre 10 et 18 km des côtes en 2006, a été mené par l’IMARES (l’équivalent néerlandais de l’Ifremer).L’étude a réalisé des analyses avant la construction, puis après la construction. Il en ressort qu’à l’échelle de la zone côtière néerlandaise, il ne peut pas être observé d’effet significatif en termes d’abondance. Il a été observé une légère augmentation de l’anchois supposée être un résultat de la diminution de la pression de prédation liée à la protection apportée par la ferme éolienne; à l’échelle du parc, de nettes différences ont pu être observées entre le nouveau substrat dur (artificiel) et le fond sableux : de grands groupes de poissons ont été observés près des monopieux et des protections anti-affouillement (cabillaud, tourteau, tacaud, chaboisseau commun, chabot de mer et dragonnet lyre), mais une moindre abondance en poissons plats, sole, limande, plie, et merlan.
3. Impact sur les oiseaux et les chiroptères
En phase d’exploitation, les oiseaux sont impactés du fait de la présence et de la rotation des éoliennes, qui génèrent un dérangement visuel et des obstacles physiques. Ces pressions peuvent se traduire par différents types d’impact : contournement à grande distance (effet barrière), évitement à proximité, perte de zone fonctionnelle ou apport de reposoirs artificiels, risques de collisions. Les risques de collision ne doivent pas être négligés, mais la littérature semble indiquer des taux d’évitement moyen élevés.
Une étude publiée en 2018 dans le cadre de ORJIP (Offshore Renewables Joint Industry Programme) a ainsi analysé les comportements d’évitement et le risque de collision des oiseaux aux alentours du parc éolien en mer de Thanet, situé à 11 km au large des côtes du Kent (Angleterre) et mis en service en 2010. Les chercheurs ont procédé à des observations de 5 espèces d’oiseaux (3 espèces de goéland, mouette tridactyle et fou de Bassan) pendant 20 mois (radars, balisage GPS, observations par bateau, enregistrements vidéo). Il s’agit de l’étude qui recense le plus de données d’observations sur le comportement des oiseaux près d’un parc éolien en mer opérationnel à ce jour. L’étude a mis en évidence des stratégies d’évitement mises en œuvre par les oiseaux à plusieurs échelles (évitement du parc dans son ensemble, évitement horizontal/vertical des différentes turbines, évitement à la dernière minute, à l’approche directe des pâles ou du moteur). Elle permet de conclure que la très grande majorité des oiseaux observés évite avec succès la collision. Cette étude formule de plus des recommandations pour les modèles de prédiction des collisions.
Les connaissances sur les chiroptères (chauves-souris) en présence de parcs éoliens en mer sont en revanche encore faibles. Les chercheurs belges ont étudié les hauteurs de vol des chiroptères dans un parc éolien en mer et leur risque de collision. Pour cela, ils ont installé huit détecteurs acoustiques à des hauteurs différentes sur des turbines dans le parc de Thornton Bank (4 détecteurs à 94 mètres, 4 à 17 mètres) et ont relevé les passages de chauves-souris sur une période de 19 nuits, de fin août 2017 à fin novembre 2017. Étant donné que les enregistrements sont plus nombreux à faible altitude qu’à haute altitude, ils en concluent que les chiroptères ont une faible hauteur de vol. Néanmoins, ce résultat reste à confirmer au travers d’études supplémentaires, notamment pour connaître le lien entre cette hauteur de vol et le risque de collision (notamment la capacité d’évitement). Ces résultats ont par ailleurs confirmé que la majorité de l’activité migratoire des pipistrelles a lieu entre mi-août et fin septembre.
Pour finir, il faut souligner que le suivi environnemental du parc éolien en mer de Thornton bank, à 28 km des côtes belges, constitue un important retour d’expérience. Le rapport publié en 2018 par l’institut royal belge des sciences naturelles (Royal Belgian Institute of Natural Sciences, équivalent en France du Museum National d’Histoire Naturelle) présente un aperçu des découvertes scientifiques issues de ce suivi réalisé pendant dix ans. Ce rapport indique notamment qu’un effet récif a pu être observé, que les hauteurs de vol enregistrées pour les chiroptères sont inférieures au niveau des pales, et que les oiseaux modifient leur trajectoire de vol pour éviter les pales. Le rapport indique également que le bruit lié à la construction des fondations a un impact sur les populations de marsouins, mais que ces impacts peuvent être limités si suffisamment de mesures appropriées de réduction du bruit sont prises (comme des mesures d’effarouchement qui éloignent les espèces, des rideaux de bulles qui atténuent le bruit sous-marin, ou la prise en compte de la saisonnalité de la fréquentation de la zone par les tortues dans le calendrier de construction des installations).
Pour plus d’informations, vous pouvez vous référer à la documentation produite par le maître d’ouvrage:
- La bibliographie du Dossier du Maître d’Ouvrage où de nombreuses études de retours d'expériences étrangères sont recensées: https://eolmernormandie.debatpublic.fr/images/documents/dmo/biblio/DGEC-bibliographie-V2.pdf
- La fiche #7.1.1 “L’environnement” (voir en ligne)
- Mammifères marins: Danish Energy Agency, Danish Offshore Wind. Key Environmental Issues – a Follow-up, The Environmental Group: The Danish Energy Agency, The Danish Nature Agency, DONG Energy and Vattenfall, 2013 (voir en ligne)
- Effet réserve (Danemark): Leonhard S., Stenberg C., Støttrup J. et al., National institute of aquatic resources, Effect of the Horns Rev 1 Offshore Wind Farm on Fish Communities: follow up seven years after construction, 2011 (voir en ligne);
- Effet réserve (Pays-Bas): Van Hal R. et al., Institute for Marine Resources & Ecosystem Studies, IMARES Report C059/12, Monitoring- and Evaluation Program Near Shore Wind farm (MEP-NSW) - Fish community, 2012 (voir en ligne);
- Impact sur les oiseaux, ORJIP: Skov, H., Heinänen, S., Norman, T., Ward, R.M., Méndez-Roldán, S. & Ellis, I. ORJIP Bird Collision and Avoidance Study. Final report – April 2018. The Carbon Trust. United Kingdom. 2018 (voir en ligne);
- Suivi environnemental du parc de Thornton bank (Belgique), dont impact sur les chauves souris: Degraer, S., Brabant, R., Rumes, B. & Vigin, L. (eds). Environmental Impacts of Offshore Wind Farms in the Belgian Part of the North Sea: Assessing and Managing Effect Spheres of Influence. Brussels: Royal Belgian Institute of Natural Sciences, OD Natural Environment, Marine Ecology and Management, 2018 (voir en ligne).
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