Débat public - Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs
#debatPNGMDR Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs
Q72 • Gestion de la transmission du savoir (notamment en cas de crise)
Réponse publiée
Bonjour,
Je souhaiterais obtenir une réponse aux questions suivantes :
Comment se fait la transmission du savoir sur la gestion des déchets nucléaires et sur le nucléaire en général ? Quels outils et quels plans de suivis ? Par qui ? Et quels contrôles ?
En effet, l'histoire montre que la mémoire s'efface plus vite qu'on ne le pense, et il faut seulement une à deux générations pour oublier que tel site servait à entreposer des déchets, que telle ou telle règle devait s'appliquer, etc.
L'actualité sur le nucléaire français l'illustre encore de manière puissante puisque EDF justifie les retards sur l'EPR de Flamanville en partie à cause du fait que les ingénieurs ayant participé au programme nucléaire des années 1970 sont partis à la retraite...!
En outre, le fonctionnement actuel faisant appel massivement à de la sous-traitance ne favorise pas cette transmission de savoir puisqu'un sous-traitant qui n'est pas renouvelé sur un marché part avec une partie de la connaissance sans la transmettre à son successeur.
Cette notion de transmission de savoir (ou "devoir de mémoire") est encore plus vraie en cas de crise majeure. La situation mondiale actuelle et les nombreux indicateurs et rapports scientifiques laissent à penser que le monde de demain ne sera très certainement plus du tout le même que celui d'aujourd'hui. Certains crises majeures peuvent frapper le pays à un horizon peut-être plus précoce que nous croyons (crise de l'eau, crise alimentaire, crise économique...) et les priorités risquent d'être redistribuées. Dans une telle situation qu'il ne serait plus normal d'écarter d'un revers de main, comment l'Etat français anticipe ce devoir de mémoire et au delà quelles sont les solutions possibles pour maintenir une gestion sûre des sites nucléaires (entreposage et centrales) ? Comment s'assurer que des hommes seront en mesure de continuer à servir le pays pour entretenir et maintenir les sites nucléaires ?
En vous remerciant,
Réponse officielle :
Bonjour,
1- La transmission du savoir sur la gestion des matières et déchets radioactifs dans le processus industriel (court terme)
De nombreux outils ont été élaborés pour la transmission des savoirs et savoir-faire au sein des établissements publics et entreprises du domaine nucléaire.
L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a défini des processus dédiés à la transmission du savoir. Elle met en œuvre et renforce la gestion des connaissances selon une approche structurée et homogène sur l’ensemble de ses activités et projets. La méthodologie correspondante comprend l’élaboration d’une cartographie des connaissances, l’analyse de la criticité des connaissances clés, la formalisation, la capitalisation, le partage et le transfert de ces connaissances. Ces mécanismes et les actions correspondantes sont intégrés progressivement à l’organisation de l’Andra (management, y compris contrôle et suivi par des entités dédiées) et aux pratiques courantes des collaborateurs (toutes opérations) pour devenir systématiques. Cette gestion s’applique également aux connaissances concernées par les activités réalisées en partenariat ou en sous-traitance. Par ailleurs, en tant qu’opérateur public auquel est confiée la responsabilité de la gestion des déchets radioactifs, l’Andra assure la continuité du service public : les savoirs et savoir-faire clés sont conservés par l’Andra.
Concrètement, la gestion des connaissances se traduit par différents dispositifs :
- des modalités participatives (communautés de pratique, mentorat et compagnonnage, liens intergénérationnels) ;
- la prise en compte du retour d’expérience pour assurer la traçabilité et l’enrichissement continu des connaissances ;
- des outils numériques dédiés à la gestion du cycle de vie, de l’information et de la maquette des installations ;
- des outils de pilotage ;
- des indicateurs de monitorage permettent le contrôle et le suivi des actions stratégiques et opérationnelles ;
- etc.
Les principes, processus et livrables génériques d’un système de gestion des connaissances sont décrits dans le manuel « KM Handbook » de l’association Club Gestion des connaissances (en anglais).
Du point de vue normatif, l’Andra est certifiée ISO 9001 sur le management de la qualité et à ce titre l’organisation doit satisfaire un certain nombre d’exigence ; la version 2015 de cette norme inclue des exigences relatives à la gestion des connaissances. Le dernier audit de l’Andra sur cette norme a eu lieu au début de l’été 2019.
Enfin, de manière général, l’organisation de la France pour la gestion des déchets radioactifs a fait l’objet d’une revue en 2018 par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), dite revue Artemis. Sur les capacités organisationnelles, la revue a relevé que « les principales organisations impliquées dans le programme de gestion des matières et déchets radioactifs avaient mis en place de solides programmes de gestion des connaissances » et que « les efforts déployés par les principaux acteurs du programme de gestion des matières et déchets radioactifs en France pour établir, développer et maintenir les compétences et les capacités nécessaires du personnel sont solides et exemplaires » (rapport disponible sur le site de l’AIEA en anglais et sur le site du Ministère en français ). En ce qui concerne l’ASN, la revue indique dans son rapport : « L’équipe d’examen a noté que l’ASN a mis en place depuis plusieurs années un important programme de formation de son personnel pour développer les compétences internes. De plus, l’équipe d’examen a été informée que l’ASN a organisé un système de gestion qui contribue à la transmission des connaissances et des pratiques professionnelles ».
2- Comment entretenir la mémoire du site (long terme)
La conservation de la mémoire est un enjeu mis en avant par l’ASN qui incite à « la conservation de la mémoire du stockage, permettant de rendre extrêmement peu probable l'intrusion humaine dans la zone du stockage[1]».
Cela se traduit, pour les stockages de surface, par une surveillance de 300 ans minimum après fermeture[2]. Pour le stockage profond (le projet Cigéo), dans une logique prudente, l’ASN considère qu’une perte de mémoire ne peut être exclue « raisonnablement au-delà de 500 ans… » (après fermeture).
Au-delà de ces durées et d’une manière plus générale, les centres de stockage de déchets radioactifs sont conçus pour être sûrs de manière passive une fois fermés et donc ne nécessiter aucune intervention de la part des générations futures. Des actions sont toutefois engagées afin de transmettre et conserver la mémoire de ces centres pour les quelques siècles à venir. Au-delà, des réflexions sont en cours pour imaginer des solutions permettant de transmettre ces informations sur de plus longues périodes.
L’Andra a ainsi créé en 2010 le programme « Mémoire pour les Générations Futures », qui vise d’une part à mettre en œuvre et consolider un dispositif mémoriel en réponse aux exigences réglementaires pour les différents sites de stockage concernés, et d’autre part à étendre le plus loin possible dans le temps la préservation de la conscience de l’existence des stockages.
Ce dispositif mémoriel de l’Andra se déploie autour de 3 axes:
1) un corpus de dispositions demandées par la réglementation pour les sites de stockage de déchets radioactifs, qui constituent la « solution de référence »,
2) confortées par des interactions sociétales diversifiées,
3) et en menant en parallèle des études et recherches pour éclairer et conforter la démarche.
Les trois axes sont détaillés infra :
Axe n°1) Le dispositif applicable à tout centre de stockage relevant de de la réglementation des installations nucléaires de base, comprend la constitution d’un Dossier Synthétique de Mémoire (DSM), dont une version préliminaire doit être disponible pour l’entrée en phase de fermeture du stockage, et d’un Dossier Détaillé de Mémoire (DDM), qui doit être disponible pour l’entrée en phase de surveillance. Le DSM vise à fournir pour un public large les informations essentielles à connaître ; le DDM présente de manière organisée l’ensemble des informations élaborées au cours de la vie du stockage et qui peuvent être utiles aux responsables successifs en charge de la gestion et du suivi de l’installation.
Pour le développement des outils en réponse aux exigences réglementaires, le Centre de stockage de la Manche, qui a été ouvert en 1969 et n’accueille plus de déchets radioactifs depuis 1994, joue un rôle de pilote. Pour ce site, la version préliminaire du premier Dossier Synthétique de Mémoire vient d’être élaborée. Un Dossier Détaillé de Mémoire est aussi en cours de constitution. Par ailleurs, une solution mémorielle dite « de référence » a été définie pour le CSM. Elle sera déclinée ensuite sur les autres sites en fonctions de leurs spécificités.
Axe n°2) Cet axe vise principalement à maintenir le plus longtemps possible, la conscience de l’existence du stockage et des informations associées, en mobilisant le plus largement possible les diverses composantes de la société civile contemporaine. L’importance du rôle de la société dans la transmission de la mémoire est due au fait que :
· d’une part, la mémoire des centres de stockage est l’affaire de tous ;
· d’autre part, la société civile est source de propositions et permet de tester les dispositifs.
Enfin, créer un lien pérenne avec les populations locales renforce la robustesse et la résilience du dispositif mémoriel.
Les modalités d’interactions sont multiples, car l’objectif est de sensibiliser la société dans toute sa diversité. Un rôle particulier est donné aux groupes de réflexion, appelés « groupes Mémoire », constitués de riverains des différents sites de l’Andra. Ces groupes de riverains (un par site, hors le siège), ont été mis en place :
· d’une part, pour porter régulièrement un regard critique sur le programme mémoire, afin que les riverains puissent se l’approprier ;
· d’autre part, pour imaginer des solutions mémorielles propres aux groupes de riverains.
D’ores et déjà un groupe de riverains existe auprès du Centre de l’Andra en Meuse/Haute-Marne (CMHM), même si la décision de créer Cigéo n’est pas prise. Des actions de communications innovantes sont également mises en œuvre afin d’intéresser un large public (et en particulier les jeunes) à la question des déchets radioactifs. Elles s’appuient notamment sur l’art qui, en raison de sa force d’évocation et de son caractère universel, est capable de marquer les esprits sur plusieurs milliers d’années. L’appel à projets « Art et mémoire » invite ainsi périodiquement des artistes de toutes disciplines à contribuer à la réflexion collective, tout comme le concours de courts-métrages Regards sur les déchets radioactifs s’adresse aux jeunes vidéastes passionnés de sciences.
Axe n°3) Le 3ème axe du programme mémoire est dédié aux recherches, menées en partenariat avec la communauté scientifique qui s’articulent autour des sciences formelles et de la nature (appelées souvent « sciences dures »), de la technologie et des sciences humaines et sociales. Les principaux domaines explorés sont les matériaux, l’archéologie des paysages, les conservateurs institutionnels (musées, bibliothèques, archives etc), la sémiotique et linguistique, les analogues mémoriels, etc.
L’Andra a participé au projet international RK&M (Records, Knowledge and Memory preservation accross generations)[3] sous l’égide de l’Agence de l’Energie Nucléaire de l’OCDE, pendant toute sa durée (2011-2018). Les conclusions de ce projet recommandent de combiner des composants de différentes natures (une liste non exhaustive de 35 mécanismes a été établie), s’appuyant les uns sur les autres. L’approche mise en œuvre par l’Andra est conforme à cette philosophie.
Les maîtres d'ouvrage.
[1] « Guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde » (2008)
[2] Durée inscrite dans la règle fondamentale de sûreté RFS-I-2 du 08/11/1982
[3] RK&M : Preservation of Records, Knowledge and Memory across generations. https://www.oecd-nea.org/rwm/rkm/
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